Avec « Londres après minuit », le Mexicain Augusto Cruz nous offre un thriller déconcertant au pays des Yankis

Les États-Unis seraient-ils à la mode, ces derniers temps, chez les auteurs hispano-américains ? Après Ricardo Piglia ou Guillermo Martínez qui l’an dernier nous ont donné leur vision de l’Université yanki, Edmundo Paz Soldán plus récemment, avec sa réflexion sur l’immigration, et en attendant le premier roman d’un jeune Brésilien, Antônio Xerxenesky, sur lequel nous reviendrons prochainement, le Mexicain Augusto Cruz, lui, explore la première grande époque de Hollywood, celle du cinéma muet dans un thriller foisonnant un peu déroutant.

Au départ, Londres après minuit, un film de 1927, mythique, dont toutes les copies ont disparu et que Forrest J. Ackerman, un collectionneur passionné, veut à tout prix retrouver pour l’ajouter à ses trésors. Pour cela Ackerman contacte l’ex-agent McKenzie, qui fut l’homme de confiance du sulfureux chef du FBI, le redoutable John Edgar Hoover. L’enquête bien sûr se révèlera périlleuse, riche en rebondissements. L’habileté d’Augusto Cruz est de mêler le réel et ce qu’il invente de toutes pièces : le collectionneur, par exemple, est bien réel, Forrest J. Ackerman est le créateur de Vampirella, il est mort en 2008 et sa collection d’objets en rapport avec le cinéma d’horreur était réputée. L’univers des studios, des tournages, des vedettes éclipsées par l’arrivée du son, et aussi celui des anciennes stars qui ont dû abandonner le métier, qui ont été oubliées et ont disparu (on pense forcément à Boulevard du Crépuscule), tout cela est le noyau de la première partie du roman, la plus réussie.

La suite de l’enquête conduit McKenzie au Mexique et on passe des coulisses à la scène, ou plutôt à l’écran, car Augusto Cruz, après les salons des vedettes déchues et les bureaux des grandes compagnies, emmène son lecteur dans une aventure cinématographique palpitante et mystérieuse : ce n’est pas un livre que l’on lit, mais un film que l’on visionne, ce qui est un vrai plaisir. Et on assiste enfin à la mort d’Edgar Hoover, le lecteur se demandant alors un peu ce qu’il vient faire là, ayant perdu le fil de l’enquête de départ. Chacun des éléments de ce roman a un indéniable intérêt. Les avoir réunis risque de faire naître le doute : y a-t-il vraiment un rapport entre le début et la fin du livre ? Et les multiples fautes de la traduction n’aident pas à la fluidité de la lecture.

Ce premier roman d’un scénariste et critique de cinéma, grâce à son impressionnante documentation, peut beaucoup apporter à un amateur de films muets, peut lui faire découvrir les dessous d’Hollywood de l’entre-deux guerres, peut aussi le faire s’évader dans des aventures débridées dans lesquelles le héros risque sa vie à chaque instant, mais est toujours là pour les raconter. Une évasion très semblable à celle offerte par ces films hollywoodiens auxquels il rend hommage.

Christian ROINAT

Londres après minuit d’Augusto Cruz, traduit de l’espagnol (Mexique) par André Gabastou, éd. Christian Bourgois, 412 p., 22 €.