Rodrigo Rey Rosa et son dernier roman : « Les sourds »

Rodrigo Rey Rosa, après avoir séjourné dans divers lieux d’Amérique et d’Afrique du Nord surtout, est revenu s’installer depuis plusieurs années dans son pays d’origine, le Guatemala. Ses œuvres récentes montrent un pays partagé socialement, ethniquement, humainement devrait-on dire. C’est le cas de son dernier roman Les sourds, qui se déroule au Guatemala en nous racontant l’histoire du jeune Cayetano.

Rey Rosa, dans sa dernière oeuvre, nous entraîne, de Ciudad Guatemala aux villages du lac Atitlán, des riches demeures des nantis aux rues malodorantes des hameaux dont la seule activité est le marché hebdomadaire, jusqu’à un tribunal indien, résurgence des rites mayas. Son oncle vient proposer (imposer) au jeune Cayetano une place de garde du corps dans la famille d’un banquier. Il devra accompagner jour et nuit Clara, la fille du patriarche, dont la vie ressemble à celle de tous les héritiers de fortunes plus ou moins honnêtement gagnées : réunions entre gens du même monde, courses dans le centre de la ville, week-ends dans les propriétés à la campagne, conversations sans intérêt.

Mais Clara disparaît et Cayetano, qui n’a rien vu venir, se fait un devoir de savoir ce qui s’est passé vraiment. Il ne faut pas s’attendre, chez Rey Rosa, à un récit linéaire classique. Il joue avec les lieux et les temps, ne donnant pas toujours les clés de son récit. Il s’agit bien d’un jeu : qui sera le plus malin, le narrateur ou l’auteur. Et cette façon de faire ne se réduit pas au récit, elle s’applique aussi, surtout, à ce qu’on peut appeler la morale de l’histoire. C’est une constante chez notre écrivain, il considère que l’auteur ne doit jamais imposer un jugement, que c’est au lecteur de le faire, s’il en a envie. Cela peut dérouter, il est certain qu’on aime bien en général se laisser guider, mais au final c’est un luxe qui nous est offert : les éléments donnés sont tout sauf catégoriques, Rey Rosa n’aime pas donner d’explications trop péremptoires, on découvre les choses dans un certain désordre, qui n’est rien d’autre que la reproduction de la réalité. Ainsi par exemple l’enquête menée par Cayetano l’emmènera dans un curieux hôpital caché quelque part dans la forêt tropicale, on y distribue abondamment des médicaments aux formes et aux couleurs bizarres : pour le bien du malade, si malade il y a, ou pour d’obscurs calculs que le jeune homme ne peut comprendre ? Rodrigo Rey Rosa continue à intriguer, et aussi à informer sur son pays qu’il aime sans fard, bons ou mauvais côtés mêlés, si tant est que pour lui ces valeurs aient un sens : la réalité, qui est la seule chose qui l’intéresse vraiment, est tout cela à la fois.

Christian Roinat

Rodrigo REY ROSA : Les sourds, traduit de l’espagnol (Guatemala) par Alba-Marina Escalón, Gallimard, 279 p., 22 €.

Rodrigo Rey Rosa en espagnol : Los sordos / Severina / Imitación de Guatemala ¨El cojo bueno, Alfaguara / El cuchillo del mendigo – El agua quieta / Lo que soñó Sebastián / Cárcel de árboles / Piedras encantadas / La orilla africana / Caballeriza, Seix Barral.

Rodrigo Rey Rosa en français : Le couteau du mendiant – L’eau tranquille, Editions Soriano / Rêve en forêt / Le projet / Le silence des eaux / L’ange boiteux / Pierres enchantées / La rive africaine / Manège, Gallimard.