Déluge de recompenses sur la Croisette à Cannes – Trois prix pour les films latinos

En ce début de deuxième semaine du festival de Cannes, alors que les cinéphiles stoïques font la queue pour aller au cinéma malgré la pluie, je vais voir L’été des poissons volants de Marcela Said (Chili), présenté à la Quinzaine des Réalisateurs. À 800 km. au sud de Santiago, Manena vient en vacances dans la propriété familiale. Pancho, son père n’a qu’une obsession, éliminer les carpes de son lac. Alors qu’il recourt à des moyens de plus en plus dangereux, Manena connait cet été-là ses premiers émois et déboires amoureux et découvre un monde que nie sa famille, celui des travailleurs indiens Mapuches qui revendiquent l’accès aux terres ancestrales et s’opposent à cette riche famille. La réalisatrice a su trouver le ton pour évoquer la violence dont use cette grande bourgeoisie  pour protéger ses intérêts et maintenir le statu quo. Elle montre aussi par l’image et le son, l’invisibilité du conflit Mapuche, le désintérêt des autorités et l’indifférence de la plus grande partie de la population. Nous avons rencontré Marcela Said qui vient du documentaire et nous publierons l’entretien qu’elle nous a accordé  dans un prochain numéro d’Espaces Latinos.

Magic est le nouveau film de Sebastián Silva, le réalisateur de La Nana et de Les vieux chats. Cette fois le film se déroule dans un climat complètement différent. Pendant ses vacances au Chili, Alicia, une jeune américaine réservée se trouve embarquée par sa cousine Sara et sa bande d’amis sur une ile isolée au sud  dans la région de Lago Ranco. Cette  nature sauvage mêlée à des espaces confinés constitue une toile de fond idéale pour cette histoire angoissante. Alicia se replie de plus en plus sur elle-même et commence à perdre ses facultés mentales tandis  que le groupe, plongé dans ses propres problèmes, fait preuve de cruauté mais aussi  d’inconscience vis-à-vis de la jeune fille. La grande qualité du film est de savoir jouer subtilement des codes, rendant peu prévisible l’évolution de l’action. Chacun n’est jamais finalement ce qu’il paraît : à la fois en tant que personnage, mais aussi par rapport aux rôles des acteurs dans leurs précédents films. Il en est de même du film. Silva dit avoir pensé aux films de Polanski pour insuffler un climat très dérangeant, accentué par la photographie de Cris Doyle spécialiste de films urbains qui donne  ici à la nature une tonalité si particulière.

Dans la sélection officielle « Un Certain Regard », le dernier film de Lucía Puenzo, Wakolda était très attendu. En effet après XXY en 2007, El niño pez avait déçu en 2009. Cette fois nous sommes en Patagonie en 1960. Un médecin allemand rencontre une famille argentine qui va à Bariloche ouvrir un hôtel. Il en devient le premier client et s’intéresse particulièrement à Lilith une fillette de 12 ans trop petite pour son âge. Ces argentins  sont peu à peu séduits par le charisme de cet homme, son efficacité médicale, l’élégance de ses manières jusqu’à ce qu’ils comprennent qu’ils vivent avec un criminel nazi, Josef Mengele. Dans cette région peuplée d’Allemands, que l’on appelle la Suisse patagonienne, au bord d’un lac, un petit avion amène et repart d’une villa transformé en hôpital, des dignitaires que l’on ne voit jamais. Ainsi se mêle la grande histoire avec celle de cette  famille. On trouve aussi la thématique des précédents films de  Lucia Puenzo  (la construction des identités sexuelles et sociales, l’éveil de la conscience politique). Les dessins d’architecte du père s’opposent aux croquis du médecin. Le monde noir s’oppose à la beauté des paysages enneigés. Le roman d’où est tiré le film doit sortir prochainement chez Stock.

La jaula de oro, est le premier film de l’espagnol Diego Quemada-Diez. Il raconte le voyage depuis les bidonvilles du Guatemala de trois jeunes qui partent pour une vie meilleure aux USA. En traversant le Chiapas, ils rencontrent un jeune indien, Chauk, qui ne parle pas espagnol et est sans papier. Ces adolescents vont rencontrer sur les trains remplis de chômeurs la solidarité et le racket, la violence et la dure réalité. Le film est très tendre avec ses jeunes interprètes qui croient qu’en se déguisant en garçon pour Sara, ou en mettant un peu d’argent de coté pour Juan, ils vont pouvoir accomplir leurs rêves. Le film est évidement tourné de façon très réaliste et proche du documentaire, mais avec un scénario irréprochable sur le sujet de l’immigration souvent abordé.

Le film de la « Semaine de la critique » réalisé par les argentins Agustín Toscano et Ezequiel Radusky, Los Dueños ne nous a pas convaincu. Il a pourtant reçu une mention. À Tucumán, au nord du pays, les gardiens d’une grande ferme rurale profitent de l’absence des propriétaires en occupant la maison et en imitant leur style. Quand les proprios arrivent à l’improviste  les employés retournent chez eux, mais il leur est difficile de renoncer au confort auquel ils se sont habitués. On comprend bien que ce qui intéresse  les réalisateurs c’est la tension entre ces deux groupes. Chaque personnage vit l’angoisse de vouloir quelque chose qu’il n’a pas et les stratégies déployées pour l’obtenir sont poussées à l’absurde. Mais les réalisateurs n’ont pas assez de tendresse pour leurs personnages.

Cette année encore, le cinéma latino n’a pas déçu à Cannes. Ce sont des films chiliens (trois !), argentins et mexicains qui furent sélectionnés. Certains ont déjà un distributeur et sortiront en France. Nous en reparlerons dans la revue bimestrielle et aussi dans les newsletters hebdo. Samedi 25 mai, les premiers palmarès sont annoncés. Pour « La Semaine de la Critique » c’est Salvo des italiens Fabio Grassadonia et Atonio Piazza qui est primé, l’histoire d’un tueur de la mafia qui découvre Rita, une jeune fille aveugle. Pour « Un certain Regard », Thomas Vinterberg et son jury ont déclaré « Cette sélection était férocement non sentimentale mais toutefois poétique. Elle était politique, hautement originale, parfois déroutante, variée, mais avant tout inoubliable ». Ils on retenu : L’image manquante deRithy Panh, Prix Un certain regard, le  drame du Cambodge en terre à modeler, Omar de Hany Abu-Assad, beau film palestinien, Prix du Jury, L’Inconnu du lac d’Alain Guiraudie, prix de la mise en scène, et  le prix « Un certain talent » pour l’ensemble des acteurs du film La jaula de oro de Diego Quemada-Diez, qui méritent vraiment cette récompense.

Dimanche 26 mai. Ça y est le jury de Steven Spielberg a rendu son verdict. Certains seront satisfaits, d’autres pas. La Palme d’Or pour La vie d’Adèle, le merveilleux film d’amour d’Abdellatif Kechiche était attendue. Cela faisait cinq ans que la France n’avait pas remporté la Palme, depuis Entre les murs de Laurent Cantet. Voir au Palmarès Inside Llewis Davis sur les années folks américaine par les frères Cohen, Tel père, tel fils du japonais Kore-Eda Hirokazu, la dureté de A Touch of sin du chinois Jia Zhangke, le prix d’interprétation de Bérénice Bejo (née en Argentine) dans le premier film français de l’iranien Asghar  Farhadi constituent les bons films de la compétition. La surprise vient du Prix de la mise en scène au mexicain Amat Escalante (photo à la une) pour Heli détesté par une forte partie de la critique. Laissons la parole à un confrère de Cineuropa  :  Ouvert par une scène très intense et rythmé par quelques séquences chocs (mais beaucoup moins que ce que le résumé de l’histoire pourrait laisser supposer), Heli est un film superbement mis en scène. Plans fixes et contrechamps jouent notamment très habilement avec le hors champ, et les mouvements lents de la caméra savent étirer les épisodes les plus prenants dans un tempo idéal. Sorte de tranche de vie d’une famille mexicaine parmi d’autres, le film donne aussi à réfléchir avec force sur l’influence des images (TV, jeux) dans un pays où un chaos criminel aux frontières invisibles règne dans les services de l’État, gangrenant les esprits et donnant à la vie la plus banale un parfum de survie au bord de l’enfer… Nous reparlerons des films latinos au fur et à mesure de leur sortie.

Alain LIATARD
Depuis Cannes