Rencontre avec Joghis Seudyn Aris, interprète de La Sirga

« La Sirga » est un film colombien d’un jeune cinéaste William Vega. Au fond d’une campagne belle et désolée, au bord d’un lac, une jeune fille vient  se réfugier chez son oncle après que son village fut incendié. Il s’agit d’une auberge balayée par les vents qui espère en vain l’arrivée de touristes. Une certaine forme d’espoir compte  sur un changement peut-être proche. Par de très belles images et là aussi par des touches poétiques, le jeune cinéaste  nous fait entrer dans sa vision du monde, éludant toute violence.

Nous vous proposons un entretien
avec Joghis Seudyn Aris,
interprète du rôle d’Alicia dans « La Sirga » 

Comment s’est déroulé le tournage ? Comment t’es-tu sentie pendant ce tournage ?

Le climat était très très fort et le froid était incroyable, impressionnant. Mais ceci a été une aide pour que le personnage sorte comme il est sorti. Cette alliance entre le climat intense, fort, profond du tournage et le froid du climat,.., en fait ceci a permis que le personnage  soit mieux représenté, mieux perçu, je pense. Le froid nous met dans une certaine quiétude, ceci a permis de mieux sentir le personnage et le représenter le mieux possible, que je puisse l’interpréter de la meilleure façon, je crois. Le tournage a demandé beaucoup de travail, presque deux mois. Un travail constant, tous les jours, travail intense pour trouver, chercher, comment représenter ce personnage, l’interpréter le mieux possible. Chercher et travailler sur les mises en situation des scènes filmées.

Où a eu lieu le tournage ?

 Il s’est déroulé à la Laguna de la Cocha, près de Pasto, en Colombie.

Quelle saison a été choisie ? Pourquoi avoir choisi cette saison ?

Toujours le froid, l’époque de la saison la plus froide, toujours le froid…

D’où viens-tu ? Tu es originaire d’où ?

Je suis née dans une partie de la vallée du Cauca, proche de Cali, Colombie. Mais j’ai grandi, j’ai vécu longtemps à Florencia, Caqueta, une zone assez touchée par le conflit armé, où la vie, l’ambiance est très dure, forte. Ensuite je suis allée à Cali pour étudier, je suis actrice professionnelle, j’ai fait une licence en Art dramatique à l’Universidad del Valle. Et c’est là où j’ai rencontré Willie Vega, et donc eu  l’opportunité de me  remémorer, tous ces lieux où j’avais vécus avec ma famille.

C’est ton premier rôle ?

Non, depuis huit ans je joue pour le théâtre, je fais beaucoup de théâtre. Mais je n’avais jamais fait de cinéma. C’est mon premier rôle de ce genre. Je suis très heureuse parce que c’est un travail totalement différent de celui du théâtre. Vous avez vu que le personnage est  très « parco » (sobre), très fin, subtil, très serein, silencieux, et le théâtre, c’est complètement différent.  Les deux sont complémentaires car dans les deux on joue.

Et la rencontre avec Walter ?

Il a réalisé  un casting totalement différent à ce que l’on appelle habituellement un casting,  car la rencontre a été un moment de conversation, d’échanges, pour parler. Il a posé des questions sur la vie, notre vie, notre histoire comme personne, … très différent, très humain, et non pas un casting pour jouer une scène, plutôt une rencontre entre deux personnes. C’est ce qui a été le plus beau car en fait tout a commencé ainsi. Le film est une rencontre entre frères, amis, entre personnes, toute l’équipe est très unie, ils ont étudié ensemble,  ils sont tous très liés les uns entre les autres. Il ne s’agissait pas de jouer lors de cette première rencontre. Mais par la suite, ils ont organisé ce type d’épreuves.

Et là où tu as vécu tu nous expliquais que tu as souffert de la violence ?

Si, un peu. Et c’est le côté intéressant du film. Une partie de mon histoire est assez forte, car mon père, mon grand-père, les générations de ma famille ont été frappées par la guérilla colombienne. Mon père a été assassiné par la guérilla, mon grand-père a été tué par la guérilla, un frère, c’est-à-dire que tout ça  je l’ai vécu  de manière directe, tout le temps et ceci est très fort, dur, … chez moi c’est dur,…  c’est encore très dur pour ma famille d’avoir à affronter cette situation de manière aussi directe, d’être frappée de plein fouet, … Car ceux qui vivent dans des zones urbaines, dans la capitale, les grandes villes de Colombie, ils ne vivent pas ça de cette manière aussi directe sinon à travers ce qu’en disent les médias tandis que pour moi je le vis de manière permanente. J’ai adoré le film, je l’ai vu hier pour la première fois, car il touche ce thème de manière très subtil, de manière distante, avec recul,  d’une manière très belle qui montre le moment, le lieu, et tout très profondément, comme de l’intérieur, tout est de l’intérieur. Ce n’est pas ce qui arrive dans ma vie,  ce que j’ai vécu, voir des moments  de la vie de ma famille, c’est totalement différent. Et c’est ce qui est le plus beau du film qui est calme, tranquille, il traite le sujet de façon précise et subtile.

Tu étais vraiment très bien dans ces scènes où tu exprime ta vie intérieure.

Merci beaucoup. Mais je crois que c’est ça, une force intérieure, un complément de la formation que j’ai eu comme actrice, jusqu’à aujourd’hui, je sais comment le jouer, le faire, mais c’est aussi le souvenir constant de toutes ces types de situations, sensations, émotions que j’ai vécues, et que je vis encore…

Ce serait aussi pour ça que l’on t’a choisie, car tu as vécu de près ces situations…

Bien-sûr, ceci a beaucoup influencé le choix, et ce que dit Willie (Vega) est très juste. Il veut des acteurs  qui « sont »dans le jeu, car ils l’ont vécu réellement et alors ils peuvent être eux-mêmes, se découvrir  perpétuellement.

Comme beaucoup d’introvertis dans la vie… rire… … nous le sommes tous et nous se savons pas exprimer les choses.

Dans le film il y a aussi beaucoup de silence, et ceci est plus important que ce qui se passe à l’extérieur,… C’est plus important ce que les personnages perçoivent que ce qu’ils ont le temps de dire en mots, ils sont toujours là, présents… je crois que c’est un style courant de cette région de la Laguna, j’imagine…

Tes projets ?

Sur le plan professionnel, de l’actrice,  je suis « tranquille » pourrait-on dire. Je suis chargée de la partie Direction/Réalisation, et du travail social, beaucoup de travail social…

Comment ? C’est-à-dire ?

C’est aider les gens, aider les enfants à travers le théâtre. Les aider à organiser des ateliers de théâtre, de comment diriger, monter des projets, des œuvres. J’enseigne dans des collèges.

Où ça ?

A Florencia Caqueta.  Je suis actuellement à Florencia.

Très bien. Des projets de films, théâtre ?

 Pas pour le moment.

Entretien réalisé par
Alain LIATARD et Maité GORDON *

* Á Cannes le 20 mai 2012 et traduit par Catherine Collet Pintado. Vous trouverez l’entretien avec le réalisateur dans le dernier numéro d’Espaces Latinos n° 275 mars-avril 2013.
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