Attaque contre Jair Bolsonaro, candidat d’extrême-droite aux présidentielles brésiliennes

Au Brésil, quand les bornes sont franchies il n’y a plus de limites. Jair Bolsonaro, candidat de la droite dure aux prochaines présidentielles, a été poignardé à l’issue d’un meeting électoral le 6 septembre. L’agresseur a été immédiatement arrêté. Protégé par la police, il a échappé de peu à un lynchage populaire. La campagne a été suspendue pendant 24 heures. Les rumeurs les plus insolites ont circulé sur les conséquences politiques de cet attentat. Bolsonaro mort, que peut-il se passer ? Les élections vont-elles être reportées ? Bolsonaro sauvé par les médecins va-t-il tirer un bonus de l’événement ?

Photo : Wikimedia

La première hypothèse a été rapidement écartée. Jair Bolsonaro, bien que grièvement blessé, a échappé, de peu, à la mort. Le couteau du criminel a perforé le gros intestin et provoqué une hémorragie massive. Transporté en quelques minutes dans une clinique proche, le candidat a pu recevoir les premiers soins avant d’être héliporté dans un grand hôpital de São Paulo. Il a été photographié sur sa civière, photo reprise par tous les quotidiens. Et a pu de son lit quelques heures plus tard remercier les médecins et infirmières, le Brésil et bien sûr, Dieu, référence incontournable dans son pays.

Bien que Bolsonaro soit dans l’incapacité de poursuivre quelque activité électorale que ce soit, l’attentat a eu deux effets perturbateurs. D’une part, Bolsonaro est en boucle sur toutes les chaines de télévision. Effet non calculé, que personne ne lui reprochera, mais effet perturbateur. Le bonus en temps d’image est évident. D’autre part, personnage sulfureux, et liberticide, il a acquis, encore une fois involontairement un profil de victime. Autre joker bonifiant incontestablement son capital d’influence.

Jusqu’au 6 septembre, le profil de Bolsonaro était en effet celui d’un gros bras, et d’une «grande gueule» ciblant l’insécurité et le combat contre les délinquants, dénonçant la gauche en général et le PT en particulier comme complice du crime, avec des arguments des plus élémentaires, menaçant mitraillette en main de fusiller les pétistes, proposant de décorer s’il était élu tout policier qui crible de dix ou trente balles un bandit. Cette déclaration en suivait bien d’autres : accusant un jour le Forum de São Paulo (collectif de partis de gauche latino-américains, amis du PT) de favoriser la délinquance (le crime) et un autre d’encenser d’éloges le colonel Ustra, tortionnaire de la dictature militaire et en particulier de la présidente Dilma Rousseff.

Ce discours avait et a séduit un grand nombre de policiers et de militaires. Ils sont sortis du silence imposé par leur rôle pendant les années noires de la dictature. Le chef d’État-major des armées avait, on s’en souvient, exercé ouvertement des pressions sur le Tribunal supérieur fédéral saisi d’une demande de libération de l’ex-président Lula. Plusieurs se sont engagés dans la bataille électorale. En particulier le général Hamilton Mourão qui, le 5 août, a accepté d’être candidat à la vice-présidence sur le ticket Bolsonaro. Président de l’influent club militaire, il s’était fait connaitre en 2016 pour ses déclarations favorables à une évolution de la démocratie brésilienne vers un républicanisme sécuritaire.

Rien d’étonnant dans ce contexte que le général Eduardo Villas Bôas, chef d’État-major de l’armée de terre, ait pris à nouveau la parole après l’attentat ayant visé Jair Bolsonaro. «La gouvernabilité est affectée» a-t-il déclaré au quotidien O Estado de São Paulo, le 9 septembre. «La légitimité d’un nouveau gouvernement [sorti des urnes en octobre prochain] pourrait être questionnée». «Bien sûr, a-t-il conclu, l’armée de terre n’envisage à aucun moment d’interrompre l’ordre constitutionnel.» Compte tenu du caractère insolite en démocratie d’une telle intervention d’un militaire dans une campagne électorale, la précision est importante. Sans enlever son incongruité à cette déclaration.

La préoccupation démocratique est d’autant plus forte que le profil du suspect ayant plongé un couteau dans le ventre de Jair Bolsonaro est insaisissable. Comme souvent pour ce genre de crimes, le suspect, Adelio Bispo de Oliveira, interrogé après son arrestation, a tenu des propos d’illuminé. La presse de droite a mis en exergue son appartenance il y a quelques années au parti de gauche, PSOL. Lui-même a avoué que son geste criminel qui lui aurait été ordonné par Dieu en personne. On sait qu’il a en quelques années changé dix-neuf fois d’employeur. La perplexité s’accroît quand on sait qu’il bénéficie, alors qu’il n’aurait aucuns moyens financiers, d’une défense de qualité, composée de trois avocats criminalistes. Payés par qui ? L’église chrétienne quadrangulaire à laquelle il appartient a démenti tout engagement financier en sa faveur.

Ces dérèglements démocratiques n’ont rien d’inattendu ; même si les accidents constatés étaient imprévisibles. Les bornes des bonnes pratiques constitutionnelles ont été rompues en 2016 avec la destitution infondée en droit de la présidente Dilma Rousseff. Depuis, le désordre et le chaos ont pris le dessus. Justice, grande presse, armée, «élites financières» ont tiré le drap de la démocratie de telle sorte que les limites du respectable sont de plus en plus floues.

Cette démocratie corrompue a remis les plus pauvres dans les favelas. Et envoyé l’armée dans les bidonvilles pour contenir toute tentative de contestation. Les idées et partis de gauche ont été criminalisés, au point que Lula a été victime en mars dernier d’une tentative d’attentat. 60 000 victimes d’homicides en 2017, à 77 % jeunes, noirs et pauvres. Ce climat d’intolérance sociale est par ailleurs alimenté par les églises évangélistes et le prophétisme de pasteurs dénonçant à tout bout de champ la présence du démon. Adelio Bispo de Oliveira comme Jair Bolsonaro sont les produits de cette réalité.

Jean-Jacques KOURLIANDSKY